Jean Petite était le « tueur » du quartier. C'est lui qui tuait les cochons chez lui, chez nous ainsi que chez Couture, Salamagnou, Laborde. Et le lendemain, il dépeçait et commençait la salaison. A seize ans, je ne pus résister à la tentation de m'initier au crime et à la pelère de la maison, je lui manifestai mon souhait de faire comme lui et aussitôt sec, il me mit dans les mains la corde pour aller attraper le porc dans la soue pour l'amener sur les lieux de l’exécution. Il faut dire que les voisins étaient de la cérémonie, qu'ils étaient indispensables pour basculer sur une maie renversée le porc celui-ci manifestant avec force cris qui s'entendaient jusqu’au bout du village et forces ruades son désaccord. Mais avant il fallait le capturer et ce n'était pas chose facile, le plafond bas oblige à se courber, l’animal de toute sa vie n'a connu que la maîtresse de maison qui lui apportait matin et soir l'eau de la vaisselle réchauffée où a été ajouté une casserole de farine ou de son.
« J’ouvre ici une large parenthèse : bien plus tard j'avais découvert une recette pour faire de l'eau de vie et pour cela il me fallait du son. C’est un produit relativement rare car on n'élève plus de porc fermier. Au premier Point Vert ou je pensais en trouver, le vendeur tout étonné me demanda ce qu'était le son, je lui dis c'est un truc comme toi sans cédille ».
La cour est exiguë et l'animal tourne autour le nez au ras du sol, mais vite il passe à l'offensive et plus pour impressionner que pour mordre il ouvre largement sa gueule c'est le moment en se tenant à son côté de lui enfiler autour du groin le nœud coulant de la corde en le resserrant et le sortir Manu militari malgré ses protestations sonores au combien ! Arrivé le long de la maie, il faut le basculer et le maintenir sur le dos un homme à chaque patte, honte à celui qui lâcherait prise ! Le tueur enroule la corde autour du museau en enserrant sa main gauche entre la joue et la corde maîtrisant ainsi tout mouvement de la tête. La maîtresse de maison s'avance et pose sur le sol une bassine sous le cou de l'animal et le tueur avertit de l'imminence du coup fatal et enfonce la "coûtère " à la base du cou jusqu'au manche. Avec un angle de 45 degrés et fait faire un quart de tour à la lame pour ouvrir davantage les veines percées. Le sang gicle à gros débit et en quelques secondes la bête est morte. Le sang est brassé pour empêcher la coagulation et un écheveau de fibres en est extrait et rejeté. Ramené à la cuisine il servira le lendemain à faire les boudins.
Une chaudière d'environ quatre-vingt litres, pleine d'eau chauffe sur un trépied à proximité depuis le matin. Le porc mort est basculé sur une échelle posée à même le sol contre la maie. La maie est retournée le porc y est basculé sur deux cordes à nœuds mises en travers au niveau des pattes avant et arrières.
Il est de rigueur de boire un coup à ce stade de la cérémonie, le café servi à l'arrivée étant déjà oublié après tous ces efforts rituels fournis. Les babines essuyées les deux hommes les plus costauds, et les moins maladroits empoignent la chaudière et la déversent sur le porc après que le tueur ait constaté l'ébullition de l'eau et versé dans la chaudière un demi seau d'eau froide. Le porc ainsi ébouillanté sera débarrassé de ses poils et de son derme après avoir été frotté avec des grattoirs sortis d'une vieille lame de faux. Sans adjonction d'eau froide le derme aurait été brûlé et très difficile à enlever, les poils de pouvant plus s'arracher devraient être rasés avec les coûtères amenées par chaque voisin.
De chaque côté deux hommes empoignent les bouts des deux cordes et tirant en alternance font rouler l'animal que les autres grattent le tueur maître de cérémonie se voyant attribuer d'office la fonction de visagiste. En peu de temps l'animal n'a plus rien d'un cochon et se trouve blanc et rose comme il ne l'avait jamais été.
Reste maintenant à vider le corps, pour cela il faut suspendre la dépouille tête en bas. On rebascule le corps sur l'échelle dont les deux barreaux supérieurs sont saillants. Les nerfs des deux pattes arrières sont dégagés et encastrés dans le barreau du haut de l'échelle et le tout est appuyé contre un mur. Porc pénut cop Bebut ! Re tournée générale. Le dépeçage peut commencer, la tête est coupée au ras du cou et le spécialiste attitré en extirpe la langue les oreilles et le goula qui ressemble à une écharpe Charles Couture fut ce spécialiste toute sa carrière.
Ensuite, le corps est fendu verticalement depuis l’anus, les boyaux en sont extraits et recueillis dans un grand torchon tenu par deux hommes et transportés en cuisine pour y être dégraissés tant qu'ils sont chauds. La cage thoracique est fendue à la hache pour en sortir les poumons qui seront un constituant important des boudins du lendemain.
Le porc sur son échelle est rentré dans une pièce froide (il n'y a que l'embarras du choix) jusqu'à l’aube. La cuisinière s'attaque au repas du soir, elle enlèvera du goula les diverses glandes (le pedouilh) qu'elle fera frire avec des tranches de foie le tout accompagné de haricots blancs salis par un bon jus noir. Un poulet rôti clôturera la cérémonie suivie de parties de cartes et de moults cafés-canards souvent jusqu'à l’aube.
Le matin branle-bas de combat : dépeçage, le porc est fendu en deux, le jambon est prélevé quelques fois l'épaule sera salée comme le jambon ou sera débitée pour du confit ou des saucisses. Les côtes pourront être grillées ou confites avec la viande attenante. Les hampes dont on tirera la ventrèche seront salées et roulées. La peau, la couenne sera enlevée de l'échine.
L’échine sur l’animal en vie est toute la partie dorsale de la tête à la queue, sur la bête dépouillée c’est la colonne vertébrale : l’esquiaou est chez le charcutier toute la viande qui y est accrochée qui deviendra du confit. Les parties grasses sont découennées et la peau servira pour faire les boudins.
La chaudière qui a servi à ébouillanter la veille doit être récurée avec du gros sel de Salies du vinaigre et de la cendre de bois. Au plus vite elle est remise sur le feu avant que le vert de gris ne paraisse. Il a la réputation d’être un poison violent mais je n’ai jamais entendu qu’il ait fait une victime. À demi pleine d’eau, on y plonge des carottes et une botte de poireaux, les couennes, la colonne vertébrale, la tête, les poumons que l’on maintient immergés avec un bâton fourchu coincé à l’autre bout contre le mur, en route pour deux heures.
J’ouvre une parenthèse. « Dans la vieille maison de chez Mandere vivait une vieille femme misérable qui était née dans la maison derrière Clos et avant Lacourrege avec ses trois sœurs. Toutes étant d’une grande beauté, parties de rien, elles épousèrent des gens du grand monde et fortunés. Celle qui nous intéresse fut mariée à un Comte qui ne trouva rien de mieux que de se ruiner après avoir vendu son titre de noblesse. Sa femme, sa veuve ? s’en alla chez sa sœur mariée à un riche (?) anglais un Campbell dont le caveau familial est le premier à gauche après le portail du cimetière a Siros. Cette pauvre femme venait chercher le lait à la maison et lorsqu’elle apprenait qu’on allait tuer un cochon elle demandait qu’on lui garde les yeux dont elle disait raffoler.
Il est évident qu’on ne lui faisait pas cadeau de seulement des yeux et ainsi pendant toute la période elle était à l’affût de toutes les pelères du village en quête d’yeux ».
Pendant la cuisson, les boyaux, qui la veille avaient été vidés, lavés et retournés étaient taillés à bonne longueur et cousus ou ficelés à un bout. Après deux heures environ, la viande cuite était hachée grossièrement au couteau. Un passage au hachoir aurait été plus rapide mais aurait rendu la viande en bouillie inutilisable. Le hachis ainsi obtenu est recueilli dans une grande bassine mélangé au sang et assaisonné. Il ne reste plus qu’à remplir le boyau avec un entonnoir et à ficeler en faisant une boucle pour le suspendre en laissant un peu de vide pour permettre la dilatation lors de la nouvelle cuisson.
Après une nouvelle heure de cuisson les boudins sont suspendus sur une barre ou un bambou. Il reste à faire le pâté : le foie avec le double de son poids de poitrine ou de goula est haché finement il est assaisonné avec une cuillère à soupe débordante de sel et une cuillère à café de poivre par kilo. Le pâté sera mis en boîtes à sertir ou en bocaux et sera stérilisé durant trois heures.
Les saucisses sont faites de viande provenant de la longe ou de l’épaule enfilée dans le boyau de l’intestin grêle assaisonnée comme le pâté. Les saucissons sont faits des viandes les plus rouges et enfilés dans la partie terminale de l’intestin qui est très lisse et sans aspérité.
Je fus tout surpris d’apprendre que je devais aussi d’office procéder au dépeçage le lendemain pour compléter mon initiation, ce qui n’est pas déplaisant mais je n’en dirais pas autant du salage des jambons, à pleine main il faut durant un quart d’heure les frotter avec du gros sel en appuyant fort et recommencer deux fois à huit jours d’intervalle.
J’étais enfant durant la guerre, point de ballon ou de pelote et il y avait une pièce essentielle qui intéressait tous les gosses, c’était la vessie du cochon. En la gonflant elle avait la taille d’un ballon de foot mais si elle en avait un peu l’élasticité elle n’en avait pas la solidité elle se crevait irrémédiablement bien trop vite. Aussi dès que nous entendions les cris d’un porc qu’on allait sacrifier on essayait d’aller récupérer la vessie. Mais hélas nous n’étions pas les seuls à la vouloir, en effet les fumeurs s’en servaient comme blague à tabac dans laquelle ils mettaient quelques rondelles de carotte pour mieux le conserver.
Arrivé à ce point je ne peux pas résister au plaisir de vous parler d’un Boudin Singulier. J’avais dans les dix-huit ans, et un dimanche après un match de rugby et la traditionnelle réception chez Bourdeu à Lescar où après une bonne engueulade si nous avions perdu (et cela arrivait souvent) les dirigeants offraient un verre de limonade coupée d’un trait de vin blanc, et nous rentrions en vélo.
Nous étions quatre, un d’Aussevielle et deux de Poey. En passant devant le Postillon à Poey nous vîmes que le quiller était libre et décidâmes de faire une partie de quilles de neuf. De tradition, la partie se joue en six jeux de deux équipes de deux et à la fin de chaque partie le tenancier apporte une bouteille de vin blanc que paient les perdants. Nous jouâmes donc mais comme nous étions jeunes et ne buvions pas de vin, pour compenser, comme nous le faisions souvent nous prenions des cafés ou une tournée d’apéros, nous rentrâmes au café.
Le quiller donnait sur la cour et en la traversant on arrivait à une porte de la maison. L’entrée principale donnait sur la route nationale et directement dans la salle du bistrot. Nous prîmes donc le raccourci la porte débouchait sur une petite pièce au pied d’un escalier elle servait de cabine téléphonique publique qui desservait Poey, Aussevielle et Siros, il n’y avait aucun autre téléphone dans ces trois villages.
Le sigle de l’administration des Postes était PTT, le premier T le plus important signifiait Télégraphe le deuxième Téléphone mais seuls en possédaient les médecins et les très gros commerçants. On ne téléphonait pas, on envoyait des télégrammes. C’est le préposé qui les rédigeait pour les envoyer, et était tenu de livrer au plus vite ceux qu’il recevait. Ce Service était rémunéré au nombre de mots. Exemple de texte : Joseph décédé enterrement jeudi 10 h. Il était évident que les Préposés avaient la fâcheuse tentation d’agrémenter le texte : ne portez ni fleurs ni couronnes vous resterez pour la collation. Du coup le coût du télégramme s’en trouvait triplé.
Dans ce petit réduit il y avait deux portes l’une à gauche donnait sur l’atelier de couture de François le fils du grand père qui tenait le café, l’autre directement dans le bistrot.
Quelle ne fut pas notre surprise de voir sous la volée d’escalier, du palier à l’étage, une bonne vingtaine de boudins faits de la veille. Je dis alors à mes acolytes : on en pique un et on va le manger chez Lacourrege à Siros ? . Chiche fut la réponse unanime. De mémoire de pilier de bistrot jamais une tournée ne fut plus vite bue et payée. Nous ressortîmes par le même chemin l’un des gars de Poey me donna son couteau, d’une main je saisis boudin le plus long et de l’autre en sautant je coupai la ficelle qui le suspendait. Et en vitesse nous enfourchâmes nos vélos.
Je tenais le guidon et le boudin en suspend ficelle en main. Arrivés chez Lacourrege je demandais à Marinette de nous faire cuire le produit du larcin. Impassible elle accepta. Hélas, mauvaise surprise, Paul Pistole qui était toujours fourré au Postillon jouait aux cartes, à son air je vis qu’il n’était pas dupe, il y décelait anguille sous roche. Nous dinâmes joyeusement et terminâmes la soirée en jouant à la belote.
Au Postillon, c’était chez Balohe, il y avait une pompe à essence en bordure de la nationale à côté du portail. Cette pompe était manuelle, peinte en rouge, sur le haut elle avait deux réservoirs en verre de cinq litres dont l’un était toujours plein. Bien souvent c’était Nénette la femme du tailleur qui faisait le service. Elle dévissait le bouchon du réservoir de la voiture et y enfilait l’extrémité du tuyau en caoutchouc terminé par un embout métallique orné d’un œillet qu’elle détachait d’un crochet fixé à hauteur d’homme sur la pompe.
Elle pompait avec un mouvement de va et vient, le bidon vide se remplissait et quand il était plein il déclenchait la vidange de l’autre. Il n’y avait pas de robinet d’arrêt la livraison minimum était de cinq litres. En conséquence on ne pouvait jamais faire un plein complet sans risquer une inondation. Le client servi le tuyau était raccroché.
Martin le grand patriarche était de petite taille, il tenait aussi un débit de tabac. Le soir à la nuit tombée il démontait le manche de la pompe et dans la bouteille qu’il avait amenée il récupérait le peu d’essence qui restait dans le tuyau. Les mauvaises langues le disaient radin au point de faire payer les quelques gouttes qu’il verserait dans le briquet de ses clients fumeurs le lendemain.
Dans la semaine je passais pour ‘’ faire ‘’ de l’essence. À peine garé au pied de pompe je fus agressé par Nénette qui me fit une bruyante leçon de morale sur le bien d’autrui et l’honnêteté en particulier. Je ne fus pas surpris : Paul Pistole avait mené son enquête !!!
Pour retrouver le silence je lui proposais de lui payer son boudin. En vain, la leçon continuait. J’avais prévu le coup, j’avais relevé dans la mercuriale du marché de Pau du lundi le prix au kilo du porc vif il était, je m’en souviens encore, de 1 ancien-ancien franc. Je pensais qu’en lui donnant 5 anciens-anciens francs elle digérerait son boudin.
Je les lui mis dans main, elle se calma aussitôt, et je vis dans son regard la satisfaction de m’avoir bien eu !!!.
Je reviens sur la pèlere de chez Nénette. Les mauvaises langues disaient qu’au souper Martin, passée une certaine heure disait à ses invités : à partir de maintenant les consommations sont payantes.
Martin avait deux fils, l’aîné François était tailleur donc et son frère curé. Tout jeune il entra au séminaire mais il se fit chambrer par ses camarades ‘’ franchimans ‘’. Un Franchiman est un monsieur qui parle français mais ni ne parle ni ne comprend le patois ils l’appelaient donc ballot, terme qui ne lui convenait pas du tout. Il trouva une astuce en modifiant légèrement l’orthographe de son nom en ajoutant un accent aigu sur le E final. Et devint pour tous Balohé.
Pour en finir avec ce fameux Boudin je m’étais juré d’en cacher le dénouement.
Le dimanche suivant je retrouvai mes trois acolytes bien décidés à ne rien leur dire !!
Eux moins discrets que moi me racontèrent qu’ils étaient passés séparément la semaine chez Balohe ils avaient les trois essuyé, les foudres de Nénette et s’en été tirés en lui donnant chacun 5 anciens -anciens francs.
Ainsi se termine mon histoire d’un très cher Boudin.


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